ANNIVERSAIRE
Ce poème, écrit pour une soirée de solidarité avec le peuple chilien, a été publié dans "les choses imminentes" en 1973, aux éditions "formes et langage".
Pour le Chili
O pays tanné par les vents O face criblée de roches et de coquillages
Pays de l’homme labouré d’étoiles jaillissant d’une longue servitude
O face de terre laminée dans le cheminement gigantesque de l’avenir
Pays où l’espoir naissait que la paume allait frôler entre les volcans du cuivre et les houles andines
Pays comme mon pays de l’homme-séparé de l’homme-pioche de l’homme-charrue de l’homme-porte-fleuve de l’homme-colline de l’homme-solitaire de l’homme-écartelé
Pays où les mots à nouveau s’enracinaient et fleurissaient comme jamais dans la rocaille rouge des mines et l’âpreté des grandes prairies
O pays des retrouvailles de l’homme à lui-même réconcilié
(Et la femme et l’homme imaginaient la dimension imaginable de l’amour et la dignité zénithale de la lumière)
Pays dis-je encore dans la mâchoire de l’étau des neiges et de la mer
Voici que les maîtres n’étaient plus tout-à-fait les maîtres
Voici le lait donné à l’enfant et les mots du monde lisible
Et les grandes arithmétiques stellaires à portée de voix
Et l’écrit sur la pierre pour la liberté d’un peuple
Pays pays où toutes choses dans la cité rendue aux hommes reprenaient place et sens et souches dures sous la main
Pays des hommes de patience par les terres noires et qui venaient
Dans ce temps de tempêtes sur les lèvres et d’attente des hautes naissances présumées
Portant le pain et le sel et le vin et les herbes célébrant les mots à délivrer parmi la semence
Pays comme une grande plaie ouverte dans la gueule bleue des plaines où rien qui ne fût à nouveau interrogé et el blé et la fécondité des ventres tièdes les mariées profondes et les secrets parfums d’altitude
Ah pays encore au cœur ici un grand frémissement contraire a parcouru les eaux une onde double et dont le choc ne s’arrête pas
Une rumeur à nos seuils avant les lampes éteintes
Le fer et les balles et le canon une fois encore que les palais applaudirent
Et le feu les cordes le bâillon
Pays désormais du bruit des bottes sur le pavé ocre réveillant pour nos mémoires des cauchemars d’un autre âge
Pays de la mort désormais
Pays de l’or désormais
Pays du sang dans les rues désormais
Pays de l’incendie désormais
Pays du mépris désormais
Pays de la misère désormais
Ah pays où les forêts se brisèrent à l’horizon de la mer ainsi que de très grands mirages dans les paroles écrites
Pays ah pays dis-je encore à mon pays pareil et différent
Pays où chaque marche gravie leur sera une marche vers la mort
Chaque porte une porte sur l’enfer
Chaque miroir une condamnation
Pays au cœur ici de l’homme dis-je encore et dont la blessure bat à ma gorge dé calmante
Pays de l’eau et de la flamme
Je dis ici nul homme au nom d’homme ne faillira dans les draperies l’incertitude ni la glose nul homme ne serra qui ne portera le cri et témoignage du crime
Nul homme dis-je vertical
Et nous franchirons l’océan.
Jacques Thomassaint. Chartres, le 13 septembre 1973