ANNIVERSAIRE

Publié le par jacques thomassaint

Ce poème, écrit pour une soirée de solidarité avec le peuple chilien, a été publié dans "les choses imminentes" en 1973, aux éditions "formes et langage".

 

 

Pour le Chili

 

O pays tanné par les vents O face criblée de roches et de coquillages

Pays de l’homme labouré d’étoiles jaillissant d’une longue servitude

O face de terre laminée dans le cheminement gigantesque de l’avenir

Pays où l’espoir naissait que la paume allait frôler entre les volcans du cuivre et les houles andines

 

Pays comme mon pays de l’homme-séparé de l’homme-pioche de l’homme-charrue de l’homme-porte-fleuve de l’homme-colline de l’homme-solitaire de l’homme-écartelé

Pays où les mots à nouveau s’enracinaient et fleurissaient comme jamais dans la rocaille rouge des mines et l’âpreté des grandes prairies

O pays des retrouvailles de l’homme à lui-même réconcilié

(Et la femme et l’homme imaginaient la dimension imaginable de l’amour et la dignité zénithale de la lumière)

 

Pays dis-je encore dans la mâchoire de l’étau des neiges et de la mer

Voici que les maîtres n’étaient plus tout-à-fait les maîtres

Voici le lait donné à l’enfant et les mots du monde lisible

Et les grandes arithmétiques stellaires à portée de voix

Et l’écrit sur la pierre pour la liberté d’un peuple

 

Pays pays où toutes choses dans la cité rendue aux hommes reprenaient place et sens et souches dures sous la main

Pays des hommes de patience par les terres noires et qui venaient

Dans ce temps de tempêtes sur les lèvres et d’attente des hautes naissances présumées

Portant le pain et le sel et le vin et les herbes célébrant les mots à délivrer parmi la semence

 

Pays comme une grande plaie ouverte dans la gueule bleue des plaines où rien qui ne fût à nouveau interrogé et el blé et la fécondité des ventres tièdes les mariées profondes et les secrets parfums d’altitude

Ah pays encore au cœur ici un grand frémissement contraire a parcouru les eaux une onde double et dont le choc ne s’arrête pas

Une rumeur à nos seuils avant les lampes éteintes

 

Le fer et les balles et le canon une fois encore que les palais applaudirent

Et le feu les cordes le bâillon

 

Pays désormais du bruit des bottes sur le pavé ocre réveillant pour nos mémoires des cauchemars d’un autre âge

Pays de la mort désormais

Pays de l’or désormais

Pays du sang dans les rues désormais

Pays de l’incendie désormais

Pays du mépris désormais

Pays de la misère désormais

 

Ah pays où les forêts se brisèrent à l’horizon de la mer ainsi que de très grands mirages dans les paroles écrites

Pays ah pays dis-je encore à mon pays pareil et différent

Pays où chaque marche gravie leur sera une marche vers la mort

Chaque porte une porte sur l’enfer

Chaque miroir une condamnation

 

Pays au cœur ici de l’homme dis-je encore et dont la blessure bat à ma gorge dé calmante

Pays de l’eau et de la flamme

Je dis ici nul homme au nom d’homme ne faillira dans les draperies l’incertitude ni la glose nul homme ne serra qui ne portera le cri et témoignage du crime

Nul homme dis-je vertical

Et nous franchirons l’océan.

 

Jacques Thomassaint. Chartres, le 13 septembre 1973

 

Publié dans poésie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article