idéologie/praxis

Publié le par jacques thomassaint

  
Je ne suis ni philosophe, ni politique, seulement un peu poète. Ce qui ne m’empêche pas de m’interroger. Au contraire, peut-être ? Voila : je lis actuellement beaucoup d’articles ou de déclarations évoquant une « idéologie capitaliste ». Qu’est-ce donc que cela ? Cette formule vient-elle en remplacement de la formule « idéologie dominante », ce qui n’est pas exactement semblable ? En effet, cette dernière, beaucoup utilisée à la fin du siècle, voulait recouvrir un ensemble d’idées plus ou moins cohérentes, désignant d’abord ces idées comme étant celles sur lesquelles la bourgeoisie s’appuyait pour rester au pouvoir. (Il ne serait d’ailleurs pas sans intérêt de revenir à l’occasion sur les ravages de cette « idéologie dominante » dans la doxa du parti communiste). L’expression idéologie capitaliste désignerait alors un ensemble cohérent, organisé en système de pensée,  à l’instar du marxisme par exemple.
Est-ce le cas ? Et si cela était, quelle en serait la « bible », le livre ? Où trouver les concepts théoriques, philosophiques sur lesquelles se bâtirait cette idéologie ?
Je me posais ces questions en buvant mon café. « Commerce équitable », affirmait l’étiquette, qui était aussi celle d’une marque connue et… capitaliste, marque dont les préoccupations d’équité commerciales n’étaient apparues que très récemment. Il est bien évident que cette société puissante se contrefiche du commerce équitable, et n’utilise ce terme que perce qu’il est dans l’air du temps, qu’il peut être vendeur auprès d’une partie de la clientèle sensible à cet aspect du marché. Il ne s’agit donc que d’une récupération, à son profit (le mot est juste !) d’une expression voulant porter d’autres valeurs que les valeurs marchandes.
Il m’a semblé que j’avais là un raccourci de la pseudo idéologie capitaliste, qui consiste non pas en un système théorique cohérent, mais uniquement en une loi qui lui est propre : la loi du profit. Y compris en utilisant tout ce qui, dans le champ qui n’est pas le sien, va faire vendre.
Le capitalisme est d’abord un système économique, avec pour seule fin l’accumulation du capital et l’augmentation des profits. Une praxis, donc, tout à fait à l’opposé d’une philosophie
Que ce capitalisme utilise des penseurs, des économistes, voire des philosophes, est une autre chose. Ceux-ci ne sont appelés sur la scène médiatique que pour justifier – à posteriori – l’existence et/ou le fonctionnement du système. D’une part, eux et leurs idées ne sont en aucun cas préexistant à celui-ci. D’autre part, peu importe – pour le système – qu’ils se contredisent, s’opposent parfois, puisque leur existence même n’a de sens que si le capitalisme peut les absorber.       Celui-ci peut même phagocyter des théories et/ou des pratiques qui lui sont apparemment opposées, en les détournant, en les retournant, en les utilisant. Commerce équitable en est un exemple. L’écologie en est un autre. On peut aussi –la liste serait longue – chercher les modifications voire les transformations entre signifiants et signifiés, les usages abusifs et détournés de concepts… N’a-t-on pas vu des grandes surfaces utiliser les slogans de mai 68 pour leurs affiches publicitaires, voire l’image de Che Guevara ?
Allons plus loin : le capitalisme n’a-t-il pas été capable de faire en sorte que ses adversaires utilisent son vocabulaire, le mot « libéralisme » en étant l’exemple le plus flagrant ?
Le capitalisme fonctionne comme une éponge. Il absorbe, pompe, engloutit. Il ne rend que ce qu’il veut, ou ce qu’il est obligé de rendre, parfois sous la pression. Mais alors, il a réussi à faire subir une telle modification à ce qu’il avait avalé que le rendu n’a plus rien à voir avec l’original ! C’est un rendu pour un vomi, dit-on fort justement dans le langage populaire.
Ajoutons encore que ce système économique, s’il réussit à se doter de serviteurs par les banques, les institutions financières, s’en donne aussi dans la sphère du politique, dans celles du culturel et du cultuel… (on parle alors de superstructures, je crois ?)
On constate aisément qu’il n’est alors pas une idéologie, puisqu’il peut s’adapter à des lois, revenir sur celles-ci, sans y perdre son pouvoir. Il s’adapte sans cesse, à la fois à ses besoins (comme actuellement dans tous les domaines puisqu’il a un pouvoir politique favorable), et parfois malgré ses besoins (comme il le fit avec les lois issues du front populaire en particulier, tout en s’étant bien récupéré par la guerre et ce qui s’en suivit.
C’est justement cette absence d’idéologie qui fait toute la force du capitalisme : il peut absorber, encaisser (sans jeu de mot !), modifier, il s’adapte en permanence. C’est cette faculté d’adaptation, parfois extrêmement violente : guerres, massacres, destruction de l’environnement – qui le rend dangereux pour l’homme. Que des idéologues ou déclarés tels s’en fassent les apologues est un autre aspect de la question.
Qu’il n’y ait pas une « idéologie capitaliste » au sens stricto sensu ne veut pas dire que l’idéologie soit absente du fonctionnement de la machine économique, bien au contraire. La catégorie d’idéologie de l’appareil d’état, introduite par Althusser dans les années quatre-vingt, peut nous servir de point d’articulation à la réflexion.
Aucune idéologie, à l’exception du nazisme, n’a fait de l’extermination d’un peuple l’essence de ses écrits. Or, nous assistons actuellement à ce qui est en train de devenir une extermination qui ne dit pas son nom, qui n’est pas théorisée, qui ne figure dans aucune « idéologie » et qui, pourtant, a lieu. C’est l’extermination, par toutes sortes de moyens, de tous les « non-producteurs de profits », c'est-à-dire les pauvres en général, et pas seulement les pauvres issus/exclus de la production industrielle, mais aussi paysanne, mais aussi culturelle...
Il ne s’agit nullement d’une exagération. Il s’agit d’une guerre, une guerre non officiellement déclarée aux pauvres de la planète, et donc aussi à ceux de notre pays. La misère a un coût (financier) que le capitalisme, dans son évolution actuelle, ne peut plus prendre en charge s’il veut survivre, tout en ayant quand même besoin d’un stock de miséreux ( et pas seulement le sempiternel « volet de chômeurs ») afin de « peser » sur les revendications des moins pauvres. Cette contradiction est inhérente au capitalisme, elle en est l’un des moteurs.
C’est aussi pour cette raison qu’il est nécessaire de bien savoir de quoi l’on parle si l’on parle d’idéologie. Si celle-ci était, elle pourrait être jugée en termes de morale : ce qui est bien, ce qui est mal, ce qui bon pour l’homme, ce qui est mauvais. On pourrait comparer des valeurs. Or, nous voyons bien que la morale ne peut rien : ce qui est bien pour les pauvres, comme manger à sa faim, bénéficier de soins, de loisirs intelligents, du savoir, est un risque pour ceux qui tirent profit du capitalisme, lequel est, pour eux, le bien (au double sens philosophique et matériel).
Cet abord pose aussi la question de la solidarité ou de la charité. Ce qui n’est pas la même chose, chacun le sait. Or, le développement des actions en direction des plus « démunis », restos du cœur et autres, actions fort estimables et nécessaires, se situent, qu’on le veuille ou non, dans un rapport à une morale, morale dont le capitalisme se moque éperdument. Ces actions, donc, ne s’attaquent en rien au capitalisme, lequel peut offrir de temps en temps quelques miettes, mais dont il pourrait tout aussi bien se passer si elles n’existaient pas. La double tentation, d’une part de ne pratiquer que le geste compassionnel du don, d’autre part de le refuser au nom d’une pureté révolutionnaire, ne peut se résoudre que si l’on fait abstraction de cet aspect de la morale. Il ne s’agit pas de « faire le bien », au sens où l’entend par exemple la religion catholique. Il s’agit, en sachant que c’est d’une guerre qu’il s’agit, d’empêcher que le capitalisme ne l’emporte sur ce terrain là aussi. Dire ainsi n’est pas nier les sentiments d’injustice ou de fraternité, c’est tenter de les dépasser.
Ceci mériterait un plus long développement que ce petit texte dont ce n’était pas l’objet. Simplement pour conclure : C’est le capitalisme, en tant que praxis, qui fait la guerre aux pauvres. Non en tant qu’idéologie globalisante/globalisée. Cela pose aussi la question de la résistance : à une idéologie, ou à une praxis ? Et comment ? Ce n’est pas sans conséquences sur les combats (hé oui, c’est une guerre !) à venir.
24 septembre 2007

Publié dans politique

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J
Danielle,d'accord avec toi : rêvons, imaginons, luttons. Créer, c'est résister, et résister, c'est créer.  je crois même que l'être humain n'a pas le travail comme finalité, mais la création. Je rêve d'un monde de poètes, de peintres, de musiciens, de jardiniers de la beauté...  et de j'ardiniers tout court ! De crétaurs d'objets utiles et beaux, pas issus de besoins artificiellement crées pour n'être que des marchandises. Tout une utopie. Merci de ton commentaire.
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D
Coucou, j'avais fait un "petitit commentaire" sur ta contribution sur le blog du "collectif anti-liberal de Port-Louis" enfin disons plutot que tes idéés m'avais faient réfléfir ou (délirer) ou (réver) ??? enfin toujours est-il que quand j'ai eu la possibilité de lire ton analyse du capitalisme je me suis dit que enfin je n'étais pas la seule à penser comme ça. Sauf que j'ai hésité longtemps à t'envoyer un petit mot parce que je ne  saurais jamais exprimer, avec des mots toutes Les galères que j'ai vécues. J'ai pu bénéficier d'une accumulation de hasards dans ma vie, qui m'ont permis de découvrir d'autres modes de vie ou de penséés. Tout ces mélanges, alors que mon niveau d'étude est  BAC-4 m'ont appris une chose que je conserve chaque jour comme mode de vie :écouter vraiment, entendre pour de vrai, et laisser le temps à toute personne avec qui je DIALOGUE  de s'exprimer . Et si parfois je n'ai pas compris je me donne le temps d'y revenir, car je pars toujours du principe que c'est moi qui n'était pas au top à ce moment là pour comprendre.Tu vas surement te demander: quel rapport avec mon texte??? eh bien pour moi il y en un direct , c'est ma vie au quotidien, comme celle de bien d'autres,  c'est-a-dire de tous les petites et petits "militants? intervenants? emmerdants?" pas tous encartés d'ailleurs" qui a leur façon font que la résistance var parfoir  jusqu'à l'affrontement et ceci  EXISTE ET EXISTERAS TOUJOURS Et ceci ,parce que parmi nous ,il aura toujours des poètes, des imaginateurs,  des créateurs, et des réveurs.Et tant qu'il y aura des réveurs : les poètes, les imaginateurs, les créateurs et tout ceux qui réveront  le monde meilleur pourront exiter. Enfin c'est mon avis qu'en penses tu?
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